Cahors, Toulouse, Narbonne , la furie des vacanciers sur l'autoroute, enfin Aix en Provence et l'autoroute vers Gap ... Le panneau Embrun ... Ca y est, on y arrive après des mois, des jours, des nuits de rêve, de cauchemars, de fantasmes. J'étais venu à Embrun en 2008, c'était le terme d'un périple à VTT depuis Briançon par les sentiers d'altitude. Mais je ne connais pas vraiment le site du triathlon. On cherche le camping de la Clapière où nous attendent les Bourricaud mais c'est bizarre, nous suivons le balisage du triathlon... On arrive en plein sur le site : des triathlètes partout, le tapis bleu de l'arrivée, le salon du Triathlon. C'est une véritable fourmilière qu'il faut traverser avant d'entrer dans le camping qui est bondé. Installation, discussions, balade digestive au bord de l'eau sur le site du départ. La pression monte, il n'y a pas d'autre mot pour décrire ce sentiment de stress, d'envie et de doute qui s'insinue malgré tout : ma préparation a-t-elle été suffisante ?
Une visite à Crévoux en altitude dans le refuge des copains permet de s'aérer l'esprit et de se rendre compte que nous sommes tous dans le même état !
Après une dernière journée avant l'épreuve très agréable sous un beau soleil démarrée très tôt pour supporter Antoine, je me couche dès le coucher du soleil en espérant pouvoir trouver le sommeil.
4 h 00 du matin, la montre sonne. Réveil glacé, le gatosport est vite avalé. L'ambiance dans le camping est indescriptible : des zombies frontales sur le front circulent en silence dans les allées sombres. 4 h 30 : le voisin, casque sur la tête, part déjà avec sa caisse. Il suit une italienne maigrichonne emmitouflée dans un anorak. On dirait des condamnés qui filent vers leur destin. Quel destin ? Je gamberge : quel sera le mien sur cette épreuve ?
A mon tour je pars avec ma caisse, la frontale et le casque sur la tête. Il fait froid, je tremble malgré la veste et le pantalon que je porte. Je marche avec Hugo dans le noir et je rejoins la file des zombies attirés par la lumière du parc à vélos où enfin je retrouve les copains. Accolades, embrassades, leur présence me rassure. A ce stade, mes 9 compagnons sont plus que des coéquipiers,ce sont des frères et une soeur d'armes, une seconde famille... Sentiments mêlés de trouille et d'émotion. Installation du matériel. Le petit pipi de la peur et j'enfile la combinaison. Enfin j'ai chaud mais je tremble encore. Le speaker appelle les femmes. On attend parqués derrière les grilles. Musique techno, la clameur du public : elles sont parties ! Plus que 10 minutes et je vais enfin prendre le départ de la course, ce moment tant imaginé, tant rêvé, tant redouté aussi. Je suis avec David et Stéphane au milieu de la foule des 1300 triathlètes. Dernière accolade : bonnes chances les gars !
La détonation claque dans la nuit électrisée : ça y est, il faut y aller maintenant ! C'est parti pour une longue journée ...
Départ natation catastrophique : je me mets rapidement à suffoquer, je n'arrive plus à respirer, la combinaison m'oppresse, je prends des coups et je ne vois rien ! Ca commence mal ! Je brasse, je tends le cou au maximum, je voudrais monter vers le ciel pour trouver de l'air frais ... Je me retourne et me mets sur le dos, je ferme les yeux et me force à respirer profondément pour me calmer. Et ça va mieux. Je me retourne et reprends ma nage en crawl, mon souffle redevient normal et je peux enfin prendre mon rythme de croisière. Et là vengeance ! J'ai la rage, je remonte de nombreux nageurs, je retrouve de la glisse et alors que le jour se lève à l'issue du premier tour, je prends mon pied ! A chaque respiration, j'aperçois les sommets qui prennent des couleurs roses. Ca me rebooste, Izoard, attends-moi, j'arrive ! Je sors en bonne position 371 ème malgré un temps très moyen (1 h 9 ). Je retrouve Thierry et Jean-Pierre prêts à partir pour le vélo, tandis que Stéphane et Christophe arrivent à leur tour.
Je fais une bonne transition sans oublier le coupe-vent car il fait froid. Et je pars super motivé. J'adopte d'entrée un rythme de cyclotouriste toujours avec cette peur de ne pas finir. Stéphane me rattrape à Savines le Lac. Je ne m'accroche pas et le laisse filer. Je profite de ce train de sénateur pour admirer le paysage : le lac en contrebas, la corniche de la Durance, les gorges du Guil. Enfin le col de l'Izord et sa Casse Déserte où je jette un regard vers Copi et Bobet, unis à tout jamais dans la roche. Je retrouve Fanny, Cyril et Christian en haut, ça fait du bien. Les jambes sont un peu dures et je me laisse glisser vers Briançon en souplesse. Je n'ai pas froid et je m'attaque à la tôle ondulée de la deuxième partie du parcours. A Largentière, je passe devant la maison de mon pote Seb Foissac le frère de Fabien de Vélo Clic, guide de haute montagne (
http://www.rock-ice-snow.com/). Il n'est pas là, j'irai le voir demain pour lui montrer mon tee-shirt de finisher !
La côte de Chalvet tant décrite de façon effrayante par les copains arrive. Je la passe étonamment bien, vent dans le dos certes. Dans la descente, je me surprends à penser que le parcours n'est pas si dur que ça ! Délire ou méthode Coué ?
Je suis à nouveau dans le parc et je pars à un petit rythme de 8/9 km/h. Mes jambes sont nickels, pas une douleur, pas une crampe. Je sais déjà à cet instant que je vais finir. Je suis euphorique, je tape dans les mains des copains, des enfants, j'embrasse Laurence. Le premier semi se passe bien, j'ai presque 1 h d'avance sur la barrière horaire. Et là mon cerveau commence à tenter de me tromper : il en a marre, déjà 12 h d'effort... Le moindre prétexte est bon pour m'intimer de marcher. Dans la côte d'Embrun au deuxième passage il ordonne à mon estomac de refuser toute intrusion de liquide ou de sucre. J'ai envie de vomir... S'en suit environ 4 km de marche, le moral flanche. Un concurrent ma rattrape et me signale que cette année il faut passer la ligne avant 22 h 30 pour être classé ! Coup de stress : mon cerveau envoie un flash d'adrénaline dans mon corps. Il est 20 h 30, la nuit tombe. Il reste 12 km. Je fais du calcul mental : 6 km/h pour arriver dans les délais, c'est jouable ! Je me retrouve seul dans la nuit, alternant marche course. J'y prends un plaisir sadique. J'aime ces sports extrêmes qui m'aident à échapper à cette société trop policée et trop confortable. Les postes de ravitaillement sont des oasis d'humanité et de lumière et je me recharge pour affronter ces longs tunnels d'obscurité que je traverse comme un somnambule. Baratier, la descente sur Embrun. Hugo et Erwan surgissent de l'obscurité et me sortent de ce rêve éveillé. Je n'ai plus qu'une obsession : accomplir ma promesse de père en passant la ligne avec eux. Laurence apparaît sur le bord du chemin, j'ai les yeux embués, la lumière m'éblouit. Tu vas finir ! Tu vas la passer cette sacrée finish line !
22 h 13 : musique techno, cris des spectateurs, Hugo et Erwan me tire vers la lumière, vers cette Terre Promise qui parachève ma "carrière" de triathlète. Je suis un "Ironman", 28 ans après mon premier triathlon à La Ramé à Toulouse !
Malgré un chrono médiocre, cette longue histoire est avant tout l'histoire d'une réussite personnelle dont je suis pour une fois très fier. J'ai réussi en préservant ce qui pour moi est le plus important dans la vie : l'équilibre. Je suis à la fois père, époux et salarié d'une entreprise. Il faut tout gérer sans rien sacrifier et c'est une tâche difficile. Cette réussite je la dois à Laurence mon épouse qui me "supporte" depuis 20 ans cette année. Quel beau cadeau d'anniversaire elle m'a fait! Je lui dédie aujourd'hui cette victoire avec une grande émotion et une éternelle reconnaissance.